En tant qu’archevêque émérite de
Malines-Bruxelles, je m’abstiens de toute interférence dans le
gouvernement des diocèses dont je fus le pasteur, Namur et Bruxelles.
Mais je demeure évêque et peux, à ce titre, exprimer des convictions
doctrinales ou pastorales, même si elles divergent éventuellement de
l’une ou l’autre position de mes anciens collègues de travail.
Même si la chose est inédite et d’un
impact infiniment supérieur, un Pape émérite, Benoît XVI en
l’occurrence, peut semblablement collaborer légitimement à un livre
projeté par un cardinal et, en concertation avec lui, émettre ses
convictions théologiques et pastorales, sans manquer à son devoir de
réserve. Il ne s’y exprime forcément plus en tant que successeur de
Pierre et sa prise de position n’a pas d’autorité magistérielle. Mais sa
parole est néanmoins d’un très grand poids.
Sa contribution active au livre projeté
par le cardinal Sarah n’est en aucune manière une « attaque » contre le
pape François. Benoît XVI, pas plus que le cardinal, ne critique son
successeur. Ils lui adressent une « supplication » dans un esprit
filial, sans rien retrancher de leur obéissance au pape actuel.
Exactement comme quatre cardinaux s’étaient adressés au pape François en
lui demandant filialement de dissiper leurs « dubia », leurs « doutes », leur perplexité, concernant certains aspects ambigus du chapitre VIII de l’exhortation Amoris laetitia,
à savoir ceux qui touchent l’indissolubilité d’un mariage sacramentel
valide, avec ses retombées concernant l’accès aux sacrements de la
réconciliation et de la communion eucharistique lorsqu’on se trouve dans
une situation permanente de cohabitation conjugale avec un partenaire
qui n’est pas son conjoint « dans le Seigneur ».
D’autres ambiguïtés ont surgi
ultérieurement. Il est parfaitement pertinent de répondre à la question
d’un journaliste en déclarant en substance : « Si une personne homosexuelle cherche sincèrement à faire la volonté de Dieu, qui suis-je pour la juger ? » Mais,
comme on ne précise pas en quoi consiste cette volonté de Dieu et
quelles sont les conséquences morales qui en découlent, l’opinion
publique retient, à tort, de cette réponse ambiguë que les pratiques
homosexuelles sont désormais légitimées par l’Église catholique. Ce qui
n’est pas vrai.
Semblablement, quand on signe une
déclaration commune, avec un haut responsable de l’islam, suggérant que
la diversité des religions correspond à la « volonté » de Dieu, il ne
suffit pas de corriger oralement l’ambiguïté de cette formulation (le
texte publié demeurant inchangé) en disant que Dieu « permet »
simplement cette diversité. Il faudrait encore souligner positivement
que le dialogue interreligieux ne peut porter atteinte à l’unicité
absolue de la Révélation chrétienne, en laquelle le Dieu unique et
trinitaire nous offre son amour sauveur en la personne de Jésus. Ce qui
n’empêche pas de saluer des « semina Verbi » (des « semences » du Verbe de Dieu), voire des « reliquia Verbi » (des « restes » du Verbe) dans d’autres religions que le judéo-christianisme.
D’autres ambiguïtés se sont introduites
dans le récent synode sur l’Amazonie, notamment concernant une certaine
vénération de la « Pachamama », de la Terre-Mère. Mais, sur ce point, il
faut attendre la publication de l’exhortation post-synodale. On peut
espérer que notre pape François y dissipera les ambiguïtés de ce synode.
Une de ces ambiguïtés concernait
précisément la question du célibat sacerdotal dans l’Église catholique
latine. À cet égard, en communion avec beaucoup d’autres évêques, que
j’invite fraternellement à exprimer eux aussi leur ferme position, je
rejoins entièrement la supplique que le cardinal Sarah, en étroite
concertation avec Benoît XVI, adresse au souverain pontife. Notre espoir
est grand d’être entendus, car le pape François a nettement déclaré son
attachement au célibat sacerdotal dans l’Église latine. Mais en
envisageant quand même des exceptions… Qui, hélas, comme en d’autres
matières, sont rapidement universalisées !
La supplique exprimée dans le livre en
question est donc d’une urgente actualité et parfaitement légitime.
Jamais il ne faut « attaquer » le Pape. Il faut, au contraire, toujours
respecter sa personne et sa mission. Mais il s’impose parfois et il est
toujours permis de le « supplier » et de lui demander des
« éclaircissements ». Ce que nous faisons.
+ André LEONARD,
· archevêque émérite de Malines-Bruxelles.
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